Je ne cesse de repenser à Charles Bukowski, à son idée de l’écriture, à ses textes que je relis depuis plusieurs jours. Qu’il ait été un phallocrate* ivrogne, peut-être et de ses textes, je ne connais que ceux de sa période septuagénaire, mais quelle force de frappe, quel pouvoir ! Je sens que je n’arriverai pas à écrire un autre article ici avant d’avoir réussi à composer un petit quelque chose à son propos.
C’est au début des années 90, qu’un ami Canadien, de passage à Strasbourg, m’a offert ce livre, Septuagenarian Stew ; Stories & Poems (1990) traduit plus tard en français par Michel Lederer, sous le titre Le Ragoût du Septuagénaire ; Nouvelles et poèmes, 1983-1990, 379 p. ; Ed. Grasset, Le livre de poche.
Lien Septuagenarian Stew : https://www.amazon.fr/Septuagenarian-Stew-Charles-Bukowski/dp/0876857942

Lien Le Ragoût du Septuagénaire :
https://www.amazon.fr/rago%C3%BBt-du-septuag%C3%A9naire-Charles-Bukowski/dp/2253146331

Dans ces années-là, je ne l’avais pas tant apprécié y repérant surtout ses nombreuses mentions à l’absorption immodérée d’alcool, une question dont j’avais plutôt envie de m’éloigner.
Aujourd’hui, j’y trouve autre chose probablement parce que je suis passée dans cette tranche d’âge où « la saison finale semble bondir à l’horizon » (ma traduction d’un tout petit extrait du poème « We must » que je vais essayer de traduire).
Il nous faut
il nous faut apporter notre propre lumière à l’obscurité
personne ne le fera pour nous.
comme les jeunes gens dévalent les pentes en ski
comme le cuistot du snack reçoit son dernier salaire
comme un chien poursuit un chien
comme un maître aux échecs perd plus que la partie
il nous faut apporter notre propre lumière à l’obscurité
personne ne le fera pour nous,
comme les solitaires appellent n’importe qui n’importe où
comme la grande bête tremble dans le cauchemar
alors que la saison finale semble bondir à l’horizon
personne ne le fera pour nous.
C’est bien plus beau en anglais ! http://www.cocosse-journal.org/2012/12/charles-bukowski.html
Et probablement aussi dans la traduction de Michel Lederer.
Les textes que j’ai lus dans ce recueil de poèmes et de textes en prose parlent d’humanité, de vieillesse, de camaraderie et de solitude, de désespoir et de fierté, de désertions, d’abus de pouvoir et d’envie de revanche illusoire. Ils expriment parfois la provocation et le scandale jusqu’au bout.
Je m’arrête là pour ne pas sombrer dans le ridicule mais je vais m’y risquer pourtant avec un texte personnel dans une tentative d’écriture de sexagénaire.
L’image qui m’est venue est cette superposition de multitudes de nuances de bonheur, vie, mort pour tous les êtres humains apparus sur terre et à venir.
Humains en ombres
Eux qui n’ont vécu qu’à l’état embryonnaire
et ceux qui ont traversé les souffrances de la naissance sans y survivre
Eux qui ont eu une enfance heureuse et puis plus rien
Et ceux qui ont été esclaves battus délaissés dès leur jeune âge
Ceux qui ont eu une arme dans les mains tout enfants pour se venger à l’avance de ce qu’ils allaient subir
Et ceux qui n’ont connu que la maladie accompagnés ou non et se sont demandé pourquoi ils devaient vivre
Et puis encore ceux qui ont aperçu pendant quelques années d’adolescence ce que pouvait être une vie d’homme ou de femme avant que le fil ne soit coupé
Il y a ceux qui sont morts et encore dans la mémoire collective et les images d’archive
Eux dont l’existence réapparait parfois dans le souvenir de proches
ceux dont le sourire, le regard, les phrases ont tant imprégné l’esprit d’enfants ou amis qu’ils semblent respirer encore
Ceux qui gisaient dans un fossé dans la seule communauté d’autres abattus avec eux
Et puis il y a les vivants présents et à venir
qui peuvent encore espérer quelques années devant eux
Avec quel espoir d’en faire quelque chose et quoi
Grains de poussière que le vent dispersera quelle que soit la construction tentée
Il y a les heureux un temps les malheureux croient-ils pour toujours les observateurs les méditatifs les cyniques et les maugréants les heureux du malheur des autres les compatissants pour eux-mêmes les charmants dans leur innocence et puis leurs désirs leur avidité aveugles illusoires
Les vieux savent que trop a changé en eux mais se reconnaissent par ombres en certains autres jeunes
Note de bas de page à propos de phallocrate
* Ce terme de phallocrate appliqué à Bukowski, je l’ai trouvé ici, dans l’introduction d’un article à propos de Richard Ford (non pas que l’auteur lui décerne ce qualificatif, au contraire.) :
http://europe.newsweek.com/richard-ford-heart-country-283957?rm=eu
Several years ago, David Foster Wallace eviscerated a John Updike novel in the New York Observer, in what was less a review than the kind of fiery send-off with which the Norsemen used to speed their dead to the underworld. It was an encomium not only for Updike but for all the Great Male Narcissists, “phallocrats” like Norman Mailer, Charles Bukowski and Philip Roth. Wallace argued that their time had passed, their irrelevance hastened by “radical self-absorption” and compounded by an “uncritical celebration of this self-absorption both in themselves and in their characters.”
Critique par Alexander NaZarayan dans Newsweek du Roman The heart of the Country de Richard Ford (Nov. 2014)
Traduction maladroite
En 1997, David Foster Wallace éviscérait un roman de John Updike dans le New York Observer dans ce qui était moins une critique que la sorte d’adieux enflammés des Normands lorsqu’ils poussaient leurs morts dans le monde des enfers. C’était un encensement non seulement pour Updike que pour tous les Grands Mâles Narcissistes, les “phallocrates” tels que Norman Mailer, Charles Bulowski et Philip Roth. Wallace décrétait que leur temps était révolu, leur inutilité ayant été accélérée par un “égocentrisme radical” et aggravée par leur “célébration sans nuance de cette auto-absorption autant en eux qu’en leurs personnages”.
Voici l’extrait de l’article du New York Observer:
Godard-Livet
Merci Charlie pour cette découverte. J’ai lu pas mal de Bukowski mais je ne connaissais pas celui-là.